Un modèle de bataville ?

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Par Antoine Brichler, le 2 Juillet 2019

L’entreprise Bata est une des premières entreprises transnationales au monde. Elle a, à partir des années 1930, systématiquement construit une usine de chaussures dans chaque pays dont elle voulait conquérir le marché. Ainsi est né Bata France, Bata Suisse, Bata Canada, etc. L’objectif de cette manœuvre était essentiellement de contourner les droits de douanes qui marquent cette époque.

Cependant, l’entreprise n’a pas seulement construit une usine, mais elle a aussi établi une véritable ville-usine dans chaque pays d’implantation, y imprimant ainsi sa marque territoriale.

La ville-usine (company town ou mill town en anglais) est une ville entièrement née de l’activité industrielle, construite et organisée en fonction de cette dernière et où l’essentiel du bâti est lié, directement ou indirectement, au système productif industriel. Elle se distingue de la ville industrielle, qui existait déjà avant d’accueillir de nombreuses usines.

Dans le cas des batavilles (terme désignant l’ensemble des villes-usines construites par Bata) le terme anglais company town est particulièrement juste, puisque la ville-usine est aussi une ville d’entreprise [1]. En effet, l’ensemble de la ville est construit autour des besoins et des produits de l’entreprise Bata.

Existe-t-il un modèle de batavilles ? Pour cela, et autour principalement des batavilles française (Bataville), slovaque (Partizánske, ex Bat'ovany) et Suisse (Batapark), une brève étude toponymique, une comparaison des formes territoriales et, enfin, une étude des paysages, sont proposées ci-dessous.

1. La toponymie

Une majorité des batavilles partage une racine commune, le nom Bata, qui est à la fois le nom de l’entreprise, mais aussi du fondateur, et des dirigeants historiques (Tomáš Baťa, Ján Antonín Baťa, Tomáš Baťa). Ce qui donne cette toponymie bien particulière : Batawa (combinaison de Ottawa et de Bata) au Canada, Bataville (Bata combiné avec ville en France), Batapark en Suisse, Batadorp (contraction de dorp, village en néerlandais et Bata) aux Pays-Bas, Batanagar en Inde, Bat'ovany (aujourd’hui Partizánske), en Slovaquie.

Mais cela ne suffit pas pour conclure qu’il existe un modèle standardisé des batavilles. Par exemple, certaines n’ont pas de nom particulier, juste le nom de leur localisation, comme East Tilbury au Royaume-Uni ou Belcamp aux Etats-Unis.

À une échelle différente, le choix des noms de rues est aussi important : Les batavilles ont toutes une rue, une route, une avenue Tomáš Baťa, mais orthographiée selon le pays. Ainsi on trouve : le Thomas Bata boulevard au Canada, la Thomas Bata avenue à East tilbury, Batastraße en Suisse, la trida Tomase Bati à Zlin.

Les noms des rues, voire de la ville elle-même, ont parfois disparu avant même la fermeture de l’usine, mais c’est en général pour une raison idéologique. Ainsi, le régime communiste tchécoslovaque a débaptisé Bat'ovany en Partizánske et a renommé l’ensemble des rues et lieux, à l’exception du Park Jana Antonína Baťu.

2. L’organisation spatiale des villes-usines Bata

Bataville, Bat'ovany et Batapark (Möhlin) sont sorties de terre durant la même décennie entre 1930 et 1935. Leurs plans d’organisation générale partagent de nombreux points communs.

Les figures 1, 2 et 3 permettent de mettre en parallèle les organisations et de voir les points communs mais aussi les différences.

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Figure 1 : Carte de Bataville-Moussey en 1986

On retrouve, dans les trois cas, le complexe industriel, une voie de communication, des installations sportives, nombreuses et variées (stade, piscine, courts de tennis). Cette présence des installations sportives, quelle que soit la bataville, a un objectif assumé. Elle permet d’entretenir la forme physique des travailleurs, tout en augmentant le sentiment d’appartenance à un groupe.

De plus les différentes usines sont toujours placées à proximité de cours d’eau ou d’une voie navigable : le canal de la Marne au Rhin pour Bataville, la Nitra pour Bat'ovany, la Trent River pour Batawa.

Une voie de communication est très souvent mise entre les bâtiments de l’usine et sa ville ; de plus il y a souvent un espace entre ces deux zones, de manière à séparer de manière symbolique la ville de son usine qui peut occasionner des nuisances.

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Figure 2 : Carte de la Bataville slovaque, Bat'Ovany : Partizánske

Le plan d’organisation générale est le même quel que soit le lieu d’implantation de l’usine, mais le plan en lui-même de l’usine change en fonction de chaque endroit, en fonction du site choisi et des périodes de construction. Toutefois, certains bâtiments sont emblématiques, et même standardisés.

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Figure 3 : Batapark à Möhlin

Néanmoins, au-delà de ce modèle général, il existe de nombreuses nuances.

Un exemple d’écart au modèle est celui de Batapark à Möhlin (Suisse) (figure 3). Plusieurs éléments manquent, la voie maritime proche. Il y a certes le Rhin, à environ 300m au nord, mais pas de port. De même, la voie de chemin de fer n’atteint pas l’usine et en reste éloignée, il n’y a pas de jonction immédiate et directe en dehors de la route.

Mais, tout en étant différent du modèle, les principales caractéristiques des ville-usines Bata sont toujours néanmoins repérables, des installations sportives, une usine clairement délimitée, et des maisons aux traits spécifiques.

3. Une identité visuelle du bâti

Quelle que soit l’usine Bata, certaines formes de bâti sont identiques.

L’aspect externe du bâtiment est toujours le même, ces dimensions sont identiques, même si le nombre d’étages et le contenu varient. Ces bâtiments sont constitués de cellules standardisées, tout comme certaines maisons, permettant une économie des coûts.

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Planche 1: Le bâtiment industriel Bata

Emprise au sol ± 2000 m²
Surface bâtie ± 8000 m²
Nombre d’étages Variable majoritairement R+4 ; R+5
Structure Structure béton armée
Dalle en béton
Mur en maçonnerie brique
Toiture bitumée

Tableau 1: Les caractéristique du bâtiment industriel Bata

De nos jours, ces bâtiments sont des marqueurs identitaires de la présence de l’entreprise Bata. Certaines communes les ont réutilisés (Batawa, Communauté de Communes Sarrebourg - Moselle Sud pour Bataville, East Tilbury) ; d’autres les ont détruits (Belcamp).

Ils partagent des caractéristiques communes, des grandes surfaces vitrées, des murs en brique, des toits plats, et une avancée au centre du bâtiment, permettant de placer un escalier et un monte-charge. Cependant, ces bâtiments, même s’ils se ressemblent tous, ne sont pas parfaitement identiques. Les architectes ont utilisé un modèle de plan et l’ont adapté aux besoins de la production, au nombre d’ouvriers. La différence la plus fréquente concerne le nombre d’étages.


Bibliographie, sitographie

[1] Morisset, L., 2017, Les « villes de compagnie » du Canada. Un patrimoine urbain pour le vivre ensemble de notre siècle ?. Entreprises et histoire, 8, (2), pp. 39-50

Momoneco, sd,  Bat'ovany — Partizánske, [Lien]

Notre Atelier Commun, s.d., Faire des pieds et des mains, un plan guide pour Bataville, L’université Foraine, p.76, [Lien]

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